Taizé (ca. 1950) – twee getuigenissen

C.W. Mönnich

1953 (in Pelgrimage)

Georges Duby

Il arrive que l’historien découvre inopinément beaucoup de ce qu’il cherche lorsqu’il sort de sa chambre et regarde autour de lui. J’en fis l’expérience au cours de ces tournées. J’aime les églises romanes du Clunysois. Je me souviens d’une fin d’après-midi où j’entrai dans celle, tout étroite et simple, de Taizé.

Dans le chœur, quatre hommes en tunique bleu sombre psalmodiaient. Lorsqu’ils se turent, je les rejoignis, nous échangeâmes quelques mots. Celui qui paraissait les diriger m’expliqua que, de religion réformée, ils étaient venus depuis la Suisse, dans l’intention de renouer avec l’esprit de Cluny. Prenant congé, je tendis la main. Mon interlocuteur jugea, je pense, qu’il n’était pas de sa dignité de donner la sienne à un laïc, à cet individu très jeune, vêtu à la campagnarde; il la retint, la fourra dans sa manche. Je fus touché par ce geste, et si profondément que la scène n’est pas sortie de ma mémoire.

Là, d’un coup, tout devint clair. Je compris ce qu’avait été l’esprit de Cluny, ce qu’il avait représenté au XIe siècle en ce pays, de quel poids avait dû peser, étayée par une conception strictement hiérarchique de l’univers entier, la volonté de tenir son rang, à tous les degrés de l’édifice social, et je devinais à quelle distance, je ne dis pas des croquants qui cultivaient leur domaine, mais des chevaliers, des seigneurs même, leurs voisins, s’étaient tenus dans leur orgueil, du haut de leur paternalisme arrogant, et convaincus de planer à proximité des anges, les moines de ce temps, maîtres du salut par les prières qu’ils décidaient de chanter en faveur de tel ou tel défunt et dont, de surcroît, la puissance temporelle écrasait une large part de la contrée.

Georges Duby, L’Histoire continuel (p. 50-51).
Chapitre ‘Le traitement’ = période après-guerre. Recherche pour son Thèse de Doctorat: La Société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise (publié en1953)